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yeux pour me détacher du sentiment de plaisir et de peur que me produisait ce regard…

La veille du jour fixé pour le mariage, vers le soir, le temps s’éclaircit. Après les pluies qui avaient marqué le commencement de l’été, arrivait la première soirée froide et brillante de l’automne. Tout était humide, froid, clair et dans le jardin on pouvait remarquer, pour la première fois, la largeur, la variété et la nudité de l’automne. Le ciel était clair, froid et pâle. J’allai me coucher, heureuse à la pensée que demain, jour de notre mariage, le temps serait beau. Ce jour-là, je m’éveillai à l’aube et la pensée que c’était déjà aujourd’hui… m’effraya et m’étonna. Je sortis au jardin. Le soleil venait de se lever et brillait par intermittence à travers les tilleuls, jaunes, qui déjà perdaient leurs feuilles. L’allée était jonchée de feuilles bruissantes. Les grappes claires de sorbier rougissaient sur les branches, parmi les feuilles rares, ratatinées par la gelée. Les dhalias se crispaient et noircissaient. Pour la première fois la gelée s’étendait en couche argentée sur la verdure pâle des herbes et des ronces brisées, près de la maison. Sur le ciel clair et froid il n’y avait pas un nuage. « Est-ce aujourd’hui ? — me demandais-je, ne croyant pas à mon bonheur. — Est-ce que déjà demain je ne m’éveillerai pas ici, mais dans la maison étrangère, dans la maison à colonnades de Nikolskoïé ? est-ce que je ne l’at-