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d’un côté. Les nuages se dispersaient tout à fait. Dans l’enclos, on apercevait, à travers les arbres, trois nouveaux toits de meules et les paysans en descendaient. Les chariots, accompagnés avec hauts cris, rentraient évidemment pour la dernière fois ; les femmes, les râteaux sur leurs épaules, des liens à la ceinture, et chantant haut, se rendaient à la maison et Sergueï Mikhaïlovitch ne revenait toujours pas, bien que depuis longtemps je l’eusse aperçu descendant la colline. Tout à coup il parut dans l’allée, du côté où je ne l’attendais pas (il avait fait le tour du ravin). Le visage, gai, radieux, le chef découvert, à pas rapides il s’approcha de moi. En apercevant que Katia dormait, il pinça les lèvres, ferma les yeux et s’approcha sur la pointe des pieds. Je remarquai aussitôt qu’il se trouvait dans cet état particulier de gaîté sans cause que j’aimais beaucoup en lui et que nous appelions : le transport sauvage. Il était comme un écolier arraché à ses livres ; tout son être, de la tête aux pieds, respirait le contentement, le bonheur, l’espièglerie enfantine.

— Eh bien, bonjour, jeune violette ! Comment allez-vous ? — Bien ? — chuchota-t-il en s’approchant de moi et me serrant la main… — Moi je me porte à merveille, — répondit-il à ma question.

— J’ai aujourd’hui treize ans, je veux jouer au cheval et grimper aux arbres.

— Vous êtes en plein transport sauvage ! —