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poussiéreux, s’avancaient aussi des chariots ; on apercevait aussi des bottes jaunes, et de loin arrivait le bruit des chariots, des voix, des chansons. D’un côté le champ couvert de chaume se découvrait de plus en plus, avec la dérayure envahie d’absinthe. À droite, en bas, sur le champ fauché, on apercevait les habits voyants des femmes qui bottelaient, penchées, agitant les bras ; et le champ couvert de chaume se nettoyait, et les jolies bottes s’y alignaient plus souvent.

Tout à coup, devant mes yeux, l’été semblait se transformer en automne. La poussière et la chaleur étaient partout, sauf en notre petit coin favori du jardin. De tous côtés, dans cette poussière, dans cette chaleur, sous ce soleil brillant, le peuple travailleur causait, faisait du bruit, se mouvait.

Et Katia ronflait si doucement sous le mouchoir de batiste blanc, sur notre banc frais, les cerises noircissaient si brillantes sur l’assiette, nos robes étaient si fraîches et si propres, l’eau dans le verre jouait si clairement au soleil et je me sentais si bien !

« — Que faire donc ? — pensais-je. — En quoi suis-je coupable d’être si heureuse ! Mais comment partager mon bonheur ? Comment et à qui se donner toute et donner tout mon bonheur ? »

Le soleil disparaissait déjà derrière l’allée de bouleaux. La poussière s’abaissait sur les champs. On voyait plus distinctement le lointain éclairé