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lant de me secouer, devinait qu’il me serait plus pénible de me montrer sous un mauvais jour à Sergueï Mikhaïlovitch qu’à n’importe lesquelles de nos connaissances. Outre que moi et tous dans la maison, à commencer par Katia et Sonia, sa filleule, jusqu’au cocher, l’aimions par habitude, il avait pour moi quelque chose de particulier, à cause d’un mot dit par maman devant moi. Elle avait dit qu’elle désirerait pour moi un mari tel que lui. Alors, cela m’avait semblé étrange et même désagréable : mon héros était tout autre. Mon héros était mince, maigre, pâle et triste, et Sergueï Mikhaïlovitch était un homme déjà mûr, grand, robuste, et, comme il me semblait, toujours gai. Mais malgré cela les paroles de maman me revinrent à l’esprit, et encore six années avant, quand j’avais onze ans, qu’il me tutoyait, jouait avec moi et m’appelait fillette-violette, non sans peur je me demandais parfois ce que je ferais si tout à coup il voulait m’épouser.

Avant le dîner, auquel Katia ajouta un gâteau à la crème et de la sauce aux épinards, Sergueï Mikhaïlovitch arriva. Par la fenêtre je le vis s’avancer en petit traîneau ; aussitôt qu’il fut au tournant, je me sauvai dans le salon et voulus feindre de ne pas l’attendre. Mais, quand j’entendis dans l’antichambre le bruit de ses pas, sa voix forte et les pas de Katia, je ne pus me retenir et allai à sa rencontre. En tenant la main de Katia il