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chez ce que vous haïssez et qui fait votre malheur. Vous êtes si gâtés que vous ne comprenez pas ce que vous devez au pauvre Tyrolien qui vous a fourni un plaisir pur, et vous vous croyez tenus, gratuitement, sans utilité ni plaisir, de vous humilier devant un lord et, on ne sait pourquoi, de lui sacrifier votre tranquillité, vos goûts. Quelle sottise ! Quelle insanité inexplicable !

» Mais ce n’est pas ce qui me frappe le plus ce soir. Cette ignorance de ce qui donne le bonheur, cette inconscience des plaisirs poétiques, je les comprends presque, et je suis habitué à les rencontrer souvent dans la vie. La cruauté grossière et inconsciente de la foule n’était pas non plus chose nouvelle pour moi. Les défenseurs du bon sens du peuple ont beau dire, la foule est l’union de braves gens peut-être, mais qui ne s’unissent que par le côté bestial, méprisable, qui n’exprime que la faiblesse et la cruauté de la nature humaine. Mais comment vous, enfants d’un peuple libre, vous chrétiens, vous des hommes, comment, à ce plaisir pur que vous a fourni un malheureux, n’avez-vous répondu que par l’indifférence et la raillerie ? Mais non, dans votre pays il y a des asiles pour les mendiants. Il n’y a pas de mendiants, il n’y en doit point avoir, non plus que de sentiment de compassion, sur quoi se base la mendicité. Mais il a travaillé, il vous a fait plaisir, il vous suppliait de lui donner une parcelle de votre su-