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centimes. Il les jeta habilement d’une main dans l’autre, les glissa dans son gilet, et, mettant son chapeau, entonna une nouvelle chanson. C’était une gracieuse chanson tyrolienne qu’il appelait : l’air du Righi. Cette chanson, qu’il gardait pour la fin, était encore plus jolie que toutes les précédentes et, de tous côtés, dans la foule grandissante, montait un murmure d’approbation. Il s’arrêta. De nouveau il agita sa guitare, ôta son chapeau, et le serrant devant lui, s’approcha de nouveau des fenêtres, et de nouveau prononça sa phrase incompréhensible : « Messieurs et mesdames, si vous croyez que je gagne quelque chose…, » qu’il jugeait évidemment très adroite et très spirituelle.

Mais dans sa voix et ses mouvements je remarquais maintenant cette indécision et cette timidité enfantines, surtout étonnantes avec sa petite taille.

Le public élégant, aux beaux habits éblouissants, toujours dans la lumière des feux, se tenait aux balcons et aux fenêtres. Quelques-uns causaient entre eux d’une voix mesurée, correcte, évidemment sur le chanteur qui, la main tendue, était devant eux. Les autres attendaient curieusement, regardant en bas, cette petite figure noire. De l’un des balcons s’entendit le cri sonore et gai d’une jeune fille. En bas, dans la foule, conversations et railleries grossissaient de plus en plus. Pour la troisième fois le chanteur répéta sa phrase mais d’une voix encore plus faible, même il ne l’acheva pas et