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pas, comme les villas lointaines et les ruines, noyées dans l’harmonie générale de la beauté, mais au contraire la troublent grossièrement ! Sans cesse, malgré moi, mon regard se heurtait à cette horrible ligne droite du quai et, en pensée, je voulais la repousser, comme une tache noire sur le nez, sous l’œil. Mais le quai, avec les Anglais qui se promenaient, restait sur place, et involontairement j’essayais de trouver un point de vue d’où je ne les verrais pas. J’y avais réussi et avant le dîner, seul, je jouissais de ce sentiment incomplet, mais d’autant plus captivant, qu’on éprouve à la contemplation isolée de la beauté de la nature.

À sept heures et demie on m’appela pour dîner. Dans la grande salle du rez-de-chaussée splendidement installée, deux longues tables, pour au moins cent personnes, étaient dressées. Pendant trois minutes, il se fit un mouvement silencieux pour l’installation des hôtes : le frou-frou des robes des dames, les pas légers, les pourparlers discrets avec les plus beaux et les plus élégants maîtres-d’hôtel. Et tous les couverts étaient pris par des hommes et des femmes fort bien habillés, même richement, et en général avec un soin extraordinaire. Comme en Suisse la plupart des hôtes étaient des Anglais, la table d’hôte avait ce caractère particulier, de convention sévère admise par l’usage, de réserve basée non sur l’orgueil mais sur l’absence du besoin de rapproche-