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blouses avec sa poche ; il commença à frotter la quille avec la craie, qu’il laissa tomber. Même quand il pouvait faire la bille, il se retournait toujours et rougissait. Ce n’était pas comme le prince. Il a déjà l’habitude, lui. Il se blanchit, se blanchit les mains, retrousse ses manches et quand il se met à frapper, bien qu’il soit de petite taille, les blouses en tremblent.

Ils ont joué deux, trois parties, je ne m’en souviens plus. Le prince posa la quille et dit :

— Permettez-moi de vous demander votre nom ?

— Nekhludov, — dit-il.

— C’est votre père qui commandait le corps d’armée ?

— Oui.

Ils se mirent à parler en français. Je ne comprenais déjà plus rien ; ils évoquaient sans doute leur parenté.

— Au revoir, — dit le prince, — enchanté d’avoir fait votre connaissance.

Il se lava les mains et s’en alla souper ; l’autre resta avec les quilles près du billard et poussa les billes.

Notre affaire est connue : avec un nouveau venu plus on est grossier, mieux ça vaut : je pris les billes et les enlevai. Il rougit et me dit :

— Peut-on jouer encore ?

— Certainement, — lui dis-je, le billard est ici pour jouer.