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contentant de la regarder. Je ne suis qu’un pauvre artiste, et elle une aristocrate. Je le savais bien. Je la regardais seulement, et ne pensais à rien.

Albert devint pensif, rassemblant ses souvenirs.

— Comment cela se fit-il, je ne m’en souviens pas. Mais un jour on me fit appeler pour l’accompagner au violon… Eh quoi, moi, pauvre artiste !… — fit-il en hochant la tête et souriant. — Mais non, je ne puis raconter ; je ne puis pas, — ajouta-t-il en se prenant la tête. — Comme j’étais heureux !

— Eh bien ! Vous avez été souvent chez elle ? — demanda Delessov.

— Une fois, une seule fois… Mais j’étais coupable, monsieur. Je suis devenu fou. Moi un pauvre artiste et elle une dame noble. Je ne devais rien lui dire. Mais j’étais fou, j’ai fait des bêtises. Depuis, pour moi, tout a été fini. Pétrov m’a dit la vérité : il vaudrait mieux ne la voir qu’au théâtre…

— Qu’avez-vous donc fait ? — demanda Delessov.

— Ah ! attendez, attendez. Je ne puis raconter cela.

Et cachant son visage dans ses mains il se tut un moment.

— Je suis venu tard à l’orchestre. Nous avions bu avec Pétrov, et ce soir-là j’étais troublé. Elle était assise dans sa loge et causait à un général, je ne sais qui c’était. Elle était assise sur le de-