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éprouvant un sentiment désagréable. Et à lui aussi le pressentiment venait en tête, c’est-à-dire la pensée très ordinaire, la pensée de la mort. Mais Kalouguine avait de l’amour-propre et des nerfs d’acier. En un mot c’était ce qu’on appelle un brave. Il ne s’abandonna pas au premier mouvement, mais s’encouragea en se rappelant un aide de camp de Napoléon qui, pour transmettre des ordres en toute hâte, s’était approché de Napoléon, la tête ensanglantée. — Vous êtes blessé ? lui demandait Napoléon. — Je vous demande pardon, Sire, je suis mort ! — Et à ces mots, l’aide de camp tombait de cheval : il était mort.

Il trouvait cela très beau, et même il s’imaginait un peu qu’il était cet aide de camp. Il fouetta son cheval et prit un air encore plus brave de Cosaque. Il se retourna vers le Cosaque qui, debout sur les étriers, galopait derrière lui, et il arriva plein de courage à l’endroit où il lui fallait descendre de cheval. Là, il trouva quatre soldats qui, assis sur des pierres, fumaient la pipe.

— Que faites-vous ici ? — leur cria-t-il.

— Nous avons amené un blessé, Votre Seigneurie, et nous nous sommes assis un peu pour nous reposer, — répondit l’un d’eux en cachant sa pipe derrière son dos et ôtant son bonnet.

— C’est ça, vous vous reposez ! Marchez à vos postes !

Avec eux, par les tranchées, il gravit la colline,