Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol4.djvu/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sens, l’honnêteté et le goût du comme il faut. Il était mal fait, pas très dégagé, et ses mouvements semblaient gênés. Il avait une casquette peu portée, une capote légère d’une étrange couleur violette où, sur le côté, se voyait une chaîne de montre en or, des pantalons à sous-pieds et des souliers vernis propres et brillants. On eût pu le prendre pour un Allemand si les traits de son visage n’eussent assuré de son origine vraiment russe, ou pour un aide de camp ou un fourrier mais, dans ce cas, il aurait eu des éperons ; pour un officier qui, pendant la campagne, a permuté de la cavalerie ou peut-être même de la garde. C’était, en effet, un officier de cavalerie ayant permuté, et qui, en ce moment, en allant au boulevard, pensait à la lettre qu’il venait de recevoir de son ancien camarade maintenant en retraite, propriétaire dans le gouvernement de T… et de son épouse aux yeux bleus, sa grande amie, Nathalie. Il se rappelait un des passages de la lettre de son ami :

« Quand on apporte l’Invalide, Poupka (l’officier retraité appelait ainsi sa femme) se jette en toute hâte dans l’antichambre, attrape le journal et court dans le berceau de notre salon (où tu te rappelles, nous avons passé avec toi de si bonnes soirées d’hiver, quand ton régiment était dans notre ville), et elle lit vos actes héroïques avec une chaleur que tu ne saurais t’imaginer. Elle parle souvent de toi : « Mikhaïlov, — dit-elle, — en voilà un cœur