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antique, Kornilov, disait en parcourant les troupes : « Mourons, enfants, mais ne rendons pas Sébastopol », et que nos Russes, incapables de pose, répondaient : « Mourons, hourra ! » seulement maintenant, les récits sur ce temps cessaient d’être pour vous une belle tradition historique, mais devenaient la réalité, le fait. Vous comprendrez clairement, vous vous imaginerez ces hommes que vous avez vus tout à l’heure, ces héros qui, dans ces temps pénibles ne sont pas tombés mais se sont élevé l’âme, et, avec joie, se préparent à la mort, non pour la ville, mais pour la patrie. Cette épopée de Sébastopol, cette épopée dont le héros fut le peuple russe, laissera en Russie de grandes et durables traces.

Le soir descend déjà. Le soleil, avant de se coucher, se montre derrière des nuages gris qui couvrent le ciel et, tout d’un coup, éclaire d’une lueur rouge les nuages bleus, la mer verte, couverte de navires et de canots balancés par les vagues larges, régulières, les blanches maisons de la ville et la foule qui circule dans les rues. Sur l’eau se dispersent les sons d’une vieille valse quelconque que joue sur le boulevard la musique militaire et les sons des coups des bastions qui leur répondent étrangement.


Sébastopol, 25 avril 1855.