Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol4.djvu/41

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et vous le voyez non dans cette quantité de parapets, de tranchées, de mines, de canons entassés les uns sur les autres et à quoi vous n’avez rien compris, mais vous l’avez vu dans les yeux, dans les paroles, dans les attitudes, dans ce qu’on appelle l’âme des défenseurs de Sébastopol. Ce qu’ils font, ils le font si simplement, avec tant de naturel et sans efforts que vous demeurez convaincu qu’ils peuvent faire cent fois plus, qu’ils peuvent faire tout. Vous comprenez que le sentiment qui les fait agir n’est pas le sentiment mesquin de l’ambition, de l’oubli, que vous avez éprouvé vous-même, mais quelque autre sentiment, plus puissant, qui les transforme en hommes vivant tranquillement sous les obus avec cent chances de mort au lieu d’une à laquelle sont soumis tous les humains et qui vivent dans ces conditions et encore avec le travail incessant, les veilles et la boue. Les hommes ne pourraient accepter ces conditions terribles pour une décoration, un titre, par la menace : il doit y avoir une autre cause, noble, puissante. Et cette cause, c’est le sentiment rarement manifesté, caché dans le fond de l’âme de chaque Russe : c’est l’amour, de la patrie. Les récits sur les premiers jours du siège de Sébastopol, quand il n’y avait ni fortifications, ni armées, ni possibilité physique de garder la ville, et que, cependant, on ne doutait nullement qu’elle ne se rendrait pas à l’ennemi ; quand ce héros digne de la Grèce