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respirer, se ressaisir, réfléchir à ce qui était.

Que s’est-il donc passé ? Il s’est passé que pendant sept mois j’ai eu peur, je me suis tourmenté en cachant mes angoisses à tous. D’acte héroïque, c’est-à-dire, dont je pouvais, je ne dis pas m’enorgueillir, mais me souvenir avec plaisir, point. Tous les exploits se résument à ceci : j’étais de la chair à canon, je suis resté longtemps en un endroit où l’on a tué beaucoup d’hommes, par des coups à la tête, à la poitrine, dans toutes les parties du corps. Mais c’est une affaire personnelle ; elle ne peut donc être extraordinaire. Or je participais à une œuvre commune. En quoi consistait-elle ? À perdre des dizaines de milliers d’hommes… Eh bien, quoi ? Sébastopol, ce même Sébastopol qu’on défendait a capitulé, la flotte a sombré, les clefs du Saint-Sépulcre sont restées à qui les avait, la Russie est mutilée. Eh bien ! alors, quoi donc ? N’y a-t-il que cette conclusion : que par sottise et jeunesse je suis tombé dans cette horrible situation, sans issue, où je fus pendant sept mois, par ma jeunesse incapable d’en sortir ? N’est-ce que cela ?

Le jeune homme se trouve dans la situation la plus favorable pour tirer cette conclusion logique inéluctable : 1o La guerre est terminée honteusement et ne peut se justifier par rien. (L’Europe ni les Bulgares ne sont libérés, etc.) ; 2o le jeune homme n’a pas payé à la guerre un tribut tel que la mutilation pour toute la vie, auquel cas il est déjà diffi-