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dive du cœur. Mais, rentre le sergent-major, et il feint l’indifférence… le temps passe. Les autres le regardent, du moins il se l’imagine, et il fait tous ses efforts pour ne pas se couvrir de honte ; et pour ne pas se couvrir de honte, il faut faire comme les autres : ne pas penser, fumer, boire, plaisanter et feindre. Et ainsi passent un jour, un autre, un troisième, une semaine… Le garçon s’habitue à dissimuler sa peur, à étouffer sa pensée. Le plus affreux pour lui, c’est que seul il ignore pourquoi il est ici dans cette terrible situation. Il lui semble que les autres savent quelque chose, il veut les exciter à la franchise. Il pense qu’il serait plus facile d’avouer que tous sont dans la même situation horrible ; mais exciter autrui à un tel aveu, c’est impossible. Les autres, comme lui, semblent avoir peur d’aborder cette question. On ne peut parler de cela. Il faut causer des escarpes, des contre escarpes, du porter, des grades, des rations, de l’écarté. Et c’est ainsi chaque jour ; le jeune homme s’habitue à ne pas penser, à ne pas interroger, à ne pas parler de ce qu’il fait, et cependant il sait constamment qu’il fait quelque chose que réprouve tout son être. Il en est ainsi durant sept mois. Le jeune homme n’est pas tué, pas mutilé, et la guerre est finie.

L’horrible torture morale est terminée. Personne n’a connu sa peur, son désir de s’enfuir, et n’a compris pourquoi il était resté. Enfin, on peut