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reur. Vous entendrez ce sifflement s’approcher de vous en s’accélérant, ensuite vous verrez une sphère noire, un trou dans le sol et l’éclat bruyant de la bombe, après quoi les morceaux se dispersent dans l’espace, dans l’air sifflent les pierres et vous êtes couvert de boue. Ce son vous fera éprouver un sentiment étrange de plaisir et en même temps de peur. Au moment où, comme vous le savez, l’obus vole vers vous, il vous viendra certainement en tête que cet obus vous tuera, mais l’amour-propre vous soutient et personne ne remarque l’angoisse qui vous serre le cœur. Mais quand l’obus est passé sans vous toucher, vous revivez, et un sentiment bon, inexprimable, agréable, mais momentané, vous saisit, de sorte que vous trouvez un charme particulier au danger, à ce jeu à la vie à la mort. Vous désirez que l’obus ou la bombe éclatent de plus en plus près de vous. Mais voilà que la sentinelle crie encore une fois de sa voix gutturale, forte : « Mor… tier ! » Encore un sifflement, le coup et l’éclat de la bombe. Mais en même temps que ce son un gémissement humain vous frappe. Au même moment que le brancard vous vous approchez du blessé qui, plein de sang et de boue, a un air étrange non humain. Le matelot a une partie de la poitrine arrachée.

Au premier moment, sur le visage couvert de boue, on ne voit que l’horreur et l’expression feinte,