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après, vous entendez le sifflement de l’obus qui s’éloigne et la fumée épaisse de la poudre vous couvre ainsi que la plate-forme et les figures noires des matelots qui s’y meuvent. À propos de notre coup, vous entendez les diverses réflexions des matelots. Vous verrez leur animation et la manifestation d’un sentiment que peut-être vous ne vous attendiez pas à rencontrer — un sentiment de colère, de vengeance envers l’ennemi, sentiment caché dans l’âme de chacun. Et vous entendez ces exclamations joyeuses : « C’est tombé juste dans l’embrasure ! On dirait que deux sont tués ! Voilà, on les porte ! » « Ah ! il va se fâcher. Tout de suite il lancera par ici », dira quelqu’un, et, en effet, peu après, vous remarquerez devant vous la foudre, la fumée. La sentinelle qui est sur le parapet, criera : « Ca… non ! » Et après, le boulet sifflera devant vous, tombera sur la terre et projettera autour de lui une pluie de pierres. Le commandant de la batterie se fâche pour cet obus, il donne l’ordre de charger la deuxième, la troisième pièce. L’ennemi commence à répondre et vous éprouvez des sensations curieuses, vous allez entendre et voir des choses intéressantes. La sentinelle criera de nouveau : « Ca… non ! » et vous entendrez de nouveau le même bruit, le même coup, la même pluie de pierres, — ou il criera : « Mor… tier ! » et ce sera un sifflement régulier, assez agréable, auquel il est difficile d’associer une pensée d’hor-