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— Eh bien ! Vous voyez, petit frère ! Vous ne faites jamais ce qu’il faut. Il fallait préparer le souper, — se mit à dire Anna Fédorovna. — Lisa, chérie, donne des ordres.

Lisa courut dans la décharge pour chercher des champignons et du beurre frais ; on commanda au cuisinier des côtelettes hachées.

— Mais pour le xérès, comment ferons-nous ? Vous en est-il resté, petit frère ?

— Non, sœur. Je n’en ai même jamais eu.

— Comment, vous n’en avez pas ! Que buvez-vous donc avec le thé ?

— Du rhum, Anna Fédorovna.

— N’est-ce pas la même chose ? Donnez le rhum, c’est pareil. Ne vaudrait-il pas mieux les inviter ici, petit frère ? Vous connaissez toutes les convenances. Je crois qu’ils n’en seront pas offensés.

Le cavalier déclara qu’il se portait garant que, par bonté, le comte ne refuserait pas et qu’il les amènerait absolument.

Anna Fédorovna, Dieu sait pourquoi, alla prendre sa robe de gros-gros et un bonnet neuf, et Lisa était si occupée qu’elle n’eut pas le temps d’ôter la robe de coton rose à larges manches qu’elle portait. En outre, elle était affreusement émue : il lui semblait que quelque chose d’étonnant l’attendait et qu’un nuage bas, sombre, était sur son âme. Ce hussard, le beau comte, lui semblait un être tout nouveau, incompréhensible,