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autour de vous des maisons, mais d’étranges tas de ruines, de pierres, de plâtras, de planches, de bûches. Devant vous, vous voyez sur une colline très raide un espace noir, sale, troué de fossés, et c’est le quatrième bastion… Ici, on rencontre encore moins de monde, on ne voit aucune femme, les soldats marchent vite, des gouttes de sang sont disséminées sur la route, et fatalement vous rencontrez quatre soldats portant un brancard sur lequel vous apercevez un visage pâle, jaunâtre et une capote ensanglantée. Si vous demandez : « Où est-il blessé ? » les brancardiers, sans se retourner vers vous, vous répondront méchamment : « À la jambe, ou au bras », s’il est blessé légèrement, ou se tairont sévèrement si sur le brancard on ne voit pas de tête, ou si le soldat est mort ou très grièvement blessé.

Aussitôt que vous commencez à gravir la colline, le sifflement voisin de l’obus ou de la bombe vous frappe désagréablement. Soudain vous comprenez tout autrement que vous ne l’aviez fait jusqu’ici la signification du bruit des coups que vous aviez entendus à la ville.

Un souvenir quelconque, doux, agréable traversera tout à coup votre imagination. Votre propre personne commence à vous occuper plus que les observations. Vous serez moins attentif à tout ce qui vous entoure et le sentiment désagréable de l’indécision vous gagnera soudain.