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de la faire rire en lui racontant de bonnes anecdotes, et la convainquit que, sur son ordre, il serait prêt à se mettre tout de suite sur la tête, à crier comme un coq, à sauter par la fenêtre ou dans un trou pratiqué à même la glace. Cela réussit à merveille. La jeune veuve s’égaya, rit en montrant des dents d’une blancheur éblouissante ; elle était tout à fait ravie de son cavalier. Et à chaque moment elle plaisait de plus en plus au comte, si bien qu’à la fin du quadrille il était réellement épris d’elle.

Quand, après le quadrille, s’approcha de la veuve son ancien adorateur, un jeune homme de dix-huit ans, le fils du plus riche seigneur, un jeune homme scrofuleux, le même à qui Tourbine avait arraché la chaise, elle le reçut très froidement, et on ne pouvait remarquer en elle la dixième partie de cette confusion qu’elle éprouvait devant le comte.

— Vous êtes bon, — lui dit-elle en regardant en ce moment le dos de Tourbine et calculant inconsciemment combien de mètres de galon doré avaient été employés pour son uniforme. — Vous êtes bon, vous aviez promis de venir me prendre pour faire un tour de promenade et m’apporter des bonbons.

— Mais je suis venu, Anna Fédorovna, et déjà vous n’étiez pas chez vous et je vous ai laissé les meilleurs bonbons — dit le jeune homme, d’une voix menue, malgré sa haute taille.