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deux officiers d’infanterie : l’un, un jeune, avec le col rouge et deux étoiles sur sa capote, narre à l’autre au col noir et sans étoiles, l’affaire de l’Alma. Le premier a déjà un peu bu, et aux pauses qu’il fait en son récit, aux regards indécis exprimant qu’il doute qu’on le croie, et principalement, au rôle trop grand qu’il s’attribue dans tout cela, à l’horreur de sa narration, il est évident qu’il s’éloigne beaucoup du sobre récit véridique. Mais vous ne vous intéressez pas à ces récits que vous entendrez encore longtemps dans tous les coins de la Russie. Vous voulez aller plus vite aux bastions, précisément au quatrième dont on vous a tant parlé et de façons si différentes. Quand quelqu’un dit qu’il était au quatrième bastion, il dit cela avec un plaisir et un orgueil particuliers. Quand quelqu’un dit : « Je vais au quatrième bastion », on peut toujours remarquer en lui une petite émotion ou une indifférence exagérée. Quand on veut plaisanter quelqu’un on dit : « Il faudrait te mettre au quatrième bastion. » Quand on rencontre des brancards et qu’on demande : « d’où… ? » on répond le plus souvent : « Du quatrième bastion. » Mais en général il existe deux opinions tout à fait différentes sur ce terrible bastion : l’opinion de ceux qui n’y furent jamais et qui sont convaincus que le quatrième bastion est le tombeau certain pour quiconque y va, et l’opinion de ceux qui vivent là-bas, comme cet enseigne de vaisseau blond, et qui