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cier tout blond, imberbe, le cou enveloppé d’un cache-nez de tricot vert.

— Où cela, chez nous ? — lui demande un autre.

— Au quatrième bastion, — répond le jeune officier. Fatalement à ces mots « au quatrième bastion », vous regardez avec plus d’attention et même avec un certain respect, l’officier blond. Son sans-gêne trop grand, l’agitation des bras, la voix et le rire forts qui vous semblaient de l’effronterie vous paraissent, maintenant, comme cet état particulier des bretteurs de l’esprit, que certaines gens très jeunes acquièrent après le danger. Cependant vous penserez qu’il va raconter qu’on est mal au quatrième bastion à cause des bombes et des balles : pas le moins du monde. C’est mal, parce que c’est sale : « On ne peut pas arriver à la batterie », — dit-il, en montrant ses bottes couvertes de boue plus haut que le mollet. « Aujourd’hui, on m’a tué mon meilleur canonnier, droit dans le front», — dira un autre… « Qui ? Mitukhine ? » — « Non… Mais sacrebleu, me servira-t-on le veau ? En voilà des canailles ! » — ajoute-t-il en s’adressant au garçon. — Pas Mitukhine, mais Abramov. C’était un brave ; il a pris part à six assauts. »

À l’autre bout de la table, devant les assiettes de côtelettes aux pois et les bouteilles de vin acide de Crimée, qu’on appelle «bordeaux», sont assis