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blanc, sain. Vous verrez comment avec un cri terrible, déchirant, avec des malédictions, le blessé reprend soudain connaissance. Vous verrez comment l’infirmier emporte dans un coin le bras coupé ; vous verrez comment, sur le brancard, dans la même chambre, un autre blessé, qui regarde l’opération de son camarade se tord et gémit non pas tant du mal physique que des souffrances morales de l’attente. Vous verrez un spectacle terrible qui fait frémir l’âme. Vous verrez la guerre, non sous son aspect beau et brillant, avec la musique et le battement des tambours, avec les drapeaux flottants et les généraux qui caracolent, mais vous verrez la guerre dans toute sa vérité, avec le sang, les souffrances, la mort…

En quittant cette maison de douleurs, vous éprouverez certainement une impression de soulagement, vous respirerez plus profondément l’air frais, vous aurez du plaisir à vous savoir en pleine santé ; mais en même temps, vous puiserez, dans la contemplation de ces souffrances la conscience de votre nullité, et tranquillement, sans hésiter, vous irez aux bastions…

« Que sont la mort et les maux d’un vermisseau si insignifiant que moi en comparaison de tant de morts, de tant de maux ! » Mais la vue du ciel pur, du soleil brillant, d’une belle ville, de l’église ouverte, des militaires qui se meuvent en diverses directions, remettra bientôt votre