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êtes mécontent de celles qui vous viennent en tête, et sans mot dire, vous vous inclinez devant cette grandeur inconsciente, devant cette fermeté d’âme et cette pudeur de son propre mérite.

— Eh bien ! Que Dieu te guérisse plus vite ! — dites-vous, et vous vous approchez d’un autre malade couché sur le sol et qui vous semble attendre la mort en des souffrances intolérables.

C’est un homme blond, au visage boursouflé, pâle. Il est couché sur le dos, sa main gauche rejetée en arrière, dans une pose qui exprime de cruelles souffrances. La bouche sèche, ouverte, laisse passer avec difficulté un souffle rauque. Les yeux bleus, vitreux, sont dirigés en haut. Un reste du bras droit, entouré de bandages, est sorti sur la couverture. Une odeur suffocante, cadavérique, vous frappe surtout, et la chaleur intérieure qui dévore et torture tous les membres du martyr, semble vous pénétrer aussi.

— Quoi ! Est-il sans connaissance ? — demandez-vous à la femme qui marche derrière vous et qui vous regarde tendrement comme un ami.

— Non, il entend encore, mais très peu, — dit-elle en chuchotant. — Aujourd’hui, je lui ai donné du thé. C’est un étranger, mais pourtant il faut avoir pitié. Il n’a presque pas bu.

— Comment te sens-tu ? — lui demandez-vous. À votre voix, le blessé tourne ses prunelles, mais il ne voit pas et ne comprend plus.