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arbres, on apercevait les hautes perches des cimetières et les aouls[1] fumants.

Notre tente se dressait non loin des canons sur un endroit sec et haut d’où la vue était particulièrement étendue. Près de la tente, près de la batterie même, sur un petit emplacement nettoyé, nous avions établi un jeu de quilles. Les soldats empressés nous y avaient dressé de petits bancs tressés et une petite table. À cause de toutes ces commodités, les officiers d’artillerie, nos camarades et quelques officiers d’infanterie aimaient à se réunir le soir dans notre batterie et appelaient cet endroit le club.

La soirée était belle. Les meilleurs joueurs étaient réunis et nous jouions aux quilles. Moi, l’enseigne D…, le lieutenant O… avions perdu de suite deux parties, et à la joie générale et aux rires des spectateurs — des officiers, des soldats et des brosseurs, qui nous regardaient de leurs tentes — nous avions promené deux fois sur notre dos, d’un bout à l’autre, les gagnants. Le plus drôle était le gros capitaine en second Sch…, qui en soufflant et souriant naïvement, les jambes traînant à terre, était à califourchon sur le petit et maigre lieutenant O… Mais il se faisait déjà tard. Les brosseurs nous apportèrent pour nous six trois verres de thé sans les soucoupes, et après avoir terminé la partie nous nous

  1. Villages des peuples du Caucase.