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— Regarde donc, je te dis que vers midi ils cessent toujours de bombarder. Voilà, aujourd’hui aussi… Allons plutôt déjeuner… Maintenant, on nous attend déjà… il n’y a rien à regarder.

— Attends ! Ne me dérange pas ! — répondit celui qui observait à travers la lunette, en regardant Sébastopol avec une obstination particulière.

— Qu’y a-t-il là-bas ? Qu’y a-t-il ?

— Un mouvement dans les tranchées. D’épaisses colonnes s’avancent.

— Mais on voit comme ça — dit le marin. — Ils marchent en colonnes. Il faut donner un signal.

— Regarde ! Regarde ! Ils sont sortis de la tranchée.

En effet, à l’œil nu on voyait les taches noires des batteries françaises descendre de la montagne dans le ravin, dans la direction du bastion. Devant ces taches se distinguaient des lignes sombres déjà tout à fait près de notre ligne. Sur les bastions, en divers endroits, comme en courant, s’enflammaient les fumées blanches des coups. Le vent apportait les sons répétés de la fusillade, comme si la pluie eût frappé sur des vitres. Les lignes noires s’avancaient de plus en plus, entourées de fumée. Les crépitements de la fusillade de plus en plus fréquents se confondaient en un bruit roulant, prolongé. La fumée se levait de plus en plus épaisse, se dispersait rapidement par toute la ligne et enfin se confondait en un nuage bleu où