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avant il semblât enragé. — Nous sommes déjà en route depuis trois mois. Attendons encore. Ce n’est pas un malheur. Nous arriverons.

La chambre sale, enfumée, était si pleine d’officiers et de valises que Kozeltzov eut peine à trouver une place sur la fenêtre où il s’assit. En regardant attentivement les visages et écoutant les conversations, il se mit à rouler une cigarette. À droite de la porte, autour d’une table grasse et boiteuse sur laquelle étaient deux samovars en cuivre, des verres et des morceaux de sucre enveloppés de papier, était assis le groupe principal. Un jeune officier imberbe, en uniforme neuf, brodé, versait de l’eau dans une théière. Quatre officiers du même âge se trouvaient en divers coins de la salle. L’un d’eux, une pelisse roulée sous la tête, dormait sur le divan. L’autre se tenait debout près de la table et coupait un morceau de mouton pour un officier sans bras assis près de la table. Deux officiers, l’un en manteau d’aide de camp, l’autre en uniforme d’infanterie très fin, le sac derrière les épaules, étaient assis près du banc ; à la façon dont ils regardaient les autres, et dont l’officier chargé du sac fumait un cigare, on voyait que ce n’étaient pas des officiers d’infanterie des rangs et qu’ils en étaient contents. Ce n’est pas qu’il y eût du mépris dans leurs manières, mais une tranquillité satisfaite, basée d’une part sur l’argent et d’autre part sur des relations très proches avec les généraux. C’était la