Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol4.djvu/101

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— À terre ! — cria une voix.

Mikhaïlov et Praskoukhine se jetèrent à terre. Praskoukhine fermant les yeux, entendit seulement que la bombe tombait quelque part, très près, sur le sol durci. Il s’écoula une seconde qui parut une heure. La bombe n’éclatait pas. Praskoukhine s’effrayait : peut-être avait-il peur pour rien ? Peut-être la bombe était-elle tombée loin et s’était-il trompé en croyant entendre siffler le tube ici-même. Il ouvrit les yeux et vit avec plaisir que Mikhaïlov était couché immobile près de ses pieds. Mais ici-même, ses yeux se rencontrèrent pour un moment avec le tube brillant de la bombe qui tournait autour de lui à la distance d’une archine.

La terreur glaciale, qui écarte toute autre pensée et sentiment, la terreur empoigna tout son être. Il cacha son visage dans ses mains.

Une seconde s’écoula encore, une seconde pendant laquelle un monde entier de sentiments, de pensées, d’espoirs, de souvenirs, traversèrent son imagination.

« Qui sera tué, moi ou Mikhaïlov ? Ou nous deux ? Si moi, où serai-je frappé ? À la tête, alors tout est fini ; si à la jambe, alors on la coupera et je demanderai qu’on m’opère absolument avec le chloroforme, et je pourrai quand même rester de ce monde. Peut-être Mikhaïlov seul sera-t-il tué. Alors je raconterai comment nous marchions côte à côte, comment il a été tué et moi