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fonctionnaires qui n’ont d’autres soucis que le vingt du mois. Ils touchent leurs appointements qu’ils voudraient voir augmenter sans cesse, là se bornent tous leurs principes. Ils accuseront, jugeront et condamneront qui vous voudrez.

— Existe-t-il vraiment des lois qui permettent de déporter un homme parce qu’il aura lu l’Évangile à d’autres ?

— Non seulement on peut déporter dans des contrées lointaines, mais condamner aux travaux forcés, s’il est prouvé qu’en commentant l’Évangile, il s’est permis de le faire d’une manière qui contredit l’Église. Outrage public à la foi orthodoxe, en vertu de l’article 196, bannissement !

— Ce n’est pas possible !

— C’est ainsi. Je ne cesse de répéter aux magistrats que je ne puis les voir sans reconnaissance, car si je ne suis point en prison, ni vous, ni tout le monde, je ne le dois qu’à leur bienveillance, dit l’avocat. Rien n’est en effet plus facile que de trouver un texte de loi permettant de me déporter où l’on voudra.

— Mais si tout dépend du caprice d’un procureur ou autres gens, libres d’appliquer ou non la loi, à quoi bon les tribunaux ?

L’avocat se mit à rire :

— Quelles bonnes questions ! Cela, cher monsieur, c’est de la philosophie ! Eh bien ! si vous le voulez, nous pourrons également en causer.