Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol37.djvu/82

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voir des bras chétifs, veinés, ils portaient un seau de couleur et s’injuriaient ; leurs visages étaient tourmentés et fâchés. Pareille expression se voyait sur la face poussiéreuse et noire des charretiers cahotés sur leurs camions. Cette même expression marquait les visages des hommes, des femmes, des enfants en haillons, qui se tenaient au coin des rues et mendiaient. Les mêmes visages apparaissaient aux vitres des débits devant lesquels passait Nekhludov. Autour des tables sales, encombrées de bouteilles et de verres à thé, entre lesquelles circulaient des garçons vêtus de blanc, étaient assis des hommes qui criaient et chantaient, le visage en sueur, rouge et abruti. L’un d’eux était assis devant la fenêtre, les sourcils relevés, la lèvre pendante, et regardait devant lui, comme cherchant à se rappeler quelque chose.

« Pourquoi sont-ils tous réunis ici ? » se demandait Nekhludov, tout en aspirant malgré lui la poussière soulevée par le vent frais, mêlée à l’écœurante odeur d’huile qui se dégageait d’une peinture toute récente.

Dans une rue il croisa des charretiers conduisant un chargement de fer, et qui, avec leur ferraille, faisaient tant de bruit sur le pavé inégal de la ville, qu’il en avait mal aux oreilles et à la tête. Il pressait le pas pour dépasser les camions, quand tout à coup, dans le fracas de la ferraille, il entendit prononcer son nom. Il s’arrêta et aperçut, non