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Sans nul doute ces hommes étaient fermement convaincus que s’efforcer de tromper des clients peu connaisseurs était non une occupation oisive, mais une occupation fort utile. Également gras lui paraissaient les cochers des voitures de maître avec leur énorme croupe et leurs boutons dans le dos ; les portiers en casquette galonnée, les femmes de chambre en tablier blanc et cheveux frisés, et surtout les cochers de remises, la nuque rasée, étalés sur les coussins de leurs voitures, et dévisageant les piétons d’un regard dédaigneux ou lascif. Toutefois Nekhludov reconnaissait en eux tous ces mêmes paysans dépossédés de la terre et, par suite, refoulés vers les villes. Certains d’entre eux avaient su s’adapter aux conditions de la vie urbaine et, devenus pareils à leurs maîtres, s’enorgueillissaient de leur situation. D’autres étaient tombés dans une situation plus misérable encore que celle qu’ils avaient au village et n’en étaient que plus pitoyables : tels paraissaient à Nekhludov ces cordonniers qu’il voyait travailler devant les fenêtres d’un sous-sol ; telles ces blanchisseuses, maigres, pâles, les bras nus et grêles, repassant le linge devant des fenêtres ouvertes par où s’exhalait la vapeur d’eau de savon. Tels encore deux peintres en bâtiment, que Nekhludov avait croisés dans la rue, marchant nu-pieds, en blouses, du haut en bas barbouillés de couleurs. Les manches relevées au-dessus du coude, laissant