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— C’est juste, fit l’homme au long nez, de sa voix de basse.

— Parfaitement bien ! approuva l’ancien soldat.

— Une femme prend un peu d’herbe pour les vaches, on l’empoigne, et en prison ! dit le bon et modeste vieillard.

— Nos terres sont à une distance de cinq verstes, et pas moyen d’en louer ; on en demande bien plus qu’on ne pourrait payer, ajouta le vieillard grincheux, édenté.

— On nous tord comme chanvre, au bon plaisir. C’est pire que la corvée ! appuya le paysan hargneux.

— Je pense comme vous, — dit Nekhludov ; et je considère comme un péché de posséder la terre. C’est pourquoi je veux vous la donner.

— Eh ! Eh ! Bonne affaire ! fit le vieillard aux boucles de Moïse, ayant évidemment compris que Nekhludov voulait affermer ses terres.

— Je suis venu pour cela : je ne veux plus posséder mes terres ; mais il faut réfléchir au moyen de s’arranger.

— Tu n’as qu’à les donner aux paysans, voilà tout ! dit le vieillard grognon, édenté.

Au premier moment, Nekhludov ressentit un certain trouble parce qu’il perçut dans ces paroles le doute en sa loyauté. Mais il se reprit aussitôt et profita de cette remarque pour exposer ce qu’il avait à dire.