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blanche, les yeux brillants, intelligents, ne manquait pas une occasion de placer des observations ironiques ou plaisantes en réponse aux paroles de Nekhludov, et, évidemment, en faisait parade. L’ancien soldat eût pu comprendre aussi de quoi il s’agissait s’il n’eût été abruti par l’esprit soldatesque et ne se fût embarrassé par l’usage du langage stupide des soldats. Un homme grand, avec une petite barbiche, le nez long, habillé d’un vêtement propre, fait chez lui, et chaussé de lapti neufs, qui parlait d’une voix de basse, était celui qui comprenait le mieux de quoi il s’agissait. Il comprenait tout et ne parlait qu’à propos. Quant aux deux autres vieillards, l’un d’eux était ce petit vieux édenté qui, la veille, à la réunion, avait crié : Non ! à toutes les propositions de Nekhludov. L’autre était un homme de haute taille, tout blanc, boiteux, avec un visage très bon, des jambes maigres entourées de toile en guise de chaussettes. Tous deux se taisaient presque tout le temps, bien qu’ils écoutassent très attentivement.

Nekhludov commença par exposer ses idées sur la propriété foncière.

— À mon avis, dit-il, on n’a pas le droit de vendre ni d’acheter la terre, car si l’on pouvait la vendre, ceux qui ont de l’argent achèteraient tout et prendraient à ceux qui n’en ont pas tout ce qu’ils voudraient : pour le droit de jouir de la terre ils prendraient de l’argent.