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innocent. Il se sentait tel qu’il était alors, tel qu’il était à quatorze ans, quand il priait Dieu de lui enseigner la vérité, quand il pleurait, enfant, sur les genoux de sa mère, en se séparant d’elle, lui jurant d’être toujours bon, de ne jamais lui faire de peine ; et tel qu’il était quand ils avaient décidé, lui et Nicolas Irténiev, de s’entraider toujours dans la voie du bien, et de tâcher de faire tous les hommes heureux.

Il se souvint alors du mauvais sentiment qui, à Kouzminskoié, lui avait presque fait regretter sa maison, ses bois, ses fermes, ses terres, et il se demanda, en ce moment, s’il les regrettait encore. Et il lui parut étrange que cela ait pu être. Il se rappela tout ce qu’il avait vu, dans la journée : la jeune femme avec les enfants, dont le mari est en prison pour avoir coupé un arbre dans son bois à lui, Nekhludov ; et l’horrible Matréna, qui pensait, ou du moins disait que les femmes et les filles de sa classe doivent être les maîtresses de leurs maîtres ; et les récits de la vieille sur la façon dont on conduisait les enfants à l’asile, et aussi ce malheureux enfant vieillot, épuisé par le manque de nourriture ; il se rappela la femme enceinte qu’on voulait obliger à travailler pour lui parce que, exténuée de fatigue, elle n’avait pu surveiller la vache qui n’avait rien à manger ; il se rappela aussi la prison, les têtes rasées, les cellules, l’épouvantable puanteur, les chaînes, et, à côté de cela,