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et retourna au jardin pour y reprendre ses réflexions, mais il n’avait plus à réfléchir.

Tout à présent lui paraissait si clair, qu’il s’étonnait que les hommes et lui-même n’eussent pas vu depuis longtemps ce qui était si évident pour lui. Le peuple meurt, il est habitué à son agonie, et en lui-même se sont formés des éléments de vie adéquats à cet état de choses : la mortalité fréquente des enfants, le travail exagéré imposé aux femmes, le manque de nourriture pour tous et surtout pour les vieillards ; et le peuple est arrivé si graduellement à cette situation qu’il finit par n’en plus voir l’horreur et ne plus s’en plaindre. C’est pourquoi nous jugeons cette situation naturelle et fatale. Maintenant il était clair pour Nekhludov que la principale cause de la misère dont le peuple a conscience et qu’il met toujours en avant, c’est qu’il a été dépossédé par les propriétaires de cette terre seule capable de le nourrir. Il est évident, d’autre part, que les enfants et les vieillards meurent parce qu’ils n’ont pas de lait, et qu’ils n’ont pas de lait parce qu’ils n’ont pas de terre où faire paître le bétail, récolter du blé et du foin ; il est évident que tout le mal du peuple, ou du moins la principale cause de ce mal, c’est que la terre, pour le moment, ne lui appartient pas, mais appartient à ceux qui jouissent du droit de vivre du travail de ce peuple. Or la terre, qui est à ce point indispensable aux hommes qu’ils meurent de n’en