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impossible de les compter, car je fus et serai toujours ! » — « Et ton père, et ta mère ? » qu’ils disent. — « Je n’ai ni père ni mère, que je réponds, excepté Dieu et la terre. Dieu c’est mon père ; la terre c’est ma mère ! » — « Et le tzar, qu’on me dit, tu le reconnais ? » — « Pourquoi ne pas le reconnaître ? Il est son tzar à lui ; moi je suis mon tzar à moi. » — « Tiens, qu’ils disent, impossible de parler avec toi ! » Moi je réponds : « Je ne te demande pas de parler avec moi. » Et c’est ainsi qu’on me tourmente.

— Où allez-vous, maintenant ? lui demanda Nekhludov.

— Je vais où Dieu me mène. Je travaille quand je trouve de l’ouvrage ; quand je n’en ai pas, je mendie, termina le vieillard en remarquant que le bac abordait à l’autre rive ; et il regarda victorieusement ses auditeurs.

Le bac aborda. Nekhludov tira son porte-monnaie et offrit de l’argent au vieillard. Celui-ci refusa.

— Ça, je ne le prends pas. Je n’accepte que du pain, dit-il.

— Pardonne-moi !

— Je n’ai pas à te pardonner. Tu ne m’as pas offensé. On ne peut pas m’offenser, dit le vieillard, en remettant sur son épaule le sac qu’il avait déposé.

Quand la voiture de poste fut débarquée, on réattela les chevaux.