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d’autant plus permis à ceux qui subissent le joug, la misère et le malheur.

On dirait que ces institutions ont été inventées exprès pour amener tout le vice, toute la dépravation à un degré qu’ils n’eussent pu atteindre dans toute autre condition, et cela afin de les répandre ensuite sur une vaste échelle, parmi tout le peuple. « Il semble qu’on se soit posé ce problème : trouver le moyen le meilleur et le plus sûr pour dépraver le plus grand nombre possible d’hommes », songeait Nekhludov en réfléchissant à tout ce qui se passait dans les prisons et les étapes. Des centaines de milliers d’êtres sont amenés chaque année au plus haut degré de corruption, et quand ils sont tout à fait dépravés, on les relâche, afin qu’ils répandent dans les couches populaires la dépravation acquise dans les prisons.

Dans les prisons de Tumène, d’Ekaterinebourg, de Tomsk, et dans les étapes, Nekhludov avait vu avec quel succès est atteint ce but que semble poursuivre la société. Des créatures simples, ordinaires, pénétrées des principes habituels de la morale sociale russe, paysanne, chrétienne, abandonnaient ces notions, et, dans les prisons, en acquéraient de nouvelles, consistant surtout à reconnaître comme légitimes et profitables toutes humiliations et toutes violences infligées à une créature humaine. Les hommes qui avaient vécu en prison avaient acquis cette conviction : qu’étant