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ils paraissaient si convaincus, non seulement de la nécessité de leurs actes, mais de l’utilité et de l’importance de leur œuvre, qu’il était difficile d’admettre que tous fussent fous ; et, d’autre part, il ne pouvait croire à sa propre folie, car il avait conscience de la clarté de sa pensée. Aussi ne savait-il que résoudre.

Ce que Nekhludov avait vu durant ces trois mois se présentait à lui sous la forme suivante : parmi les hommes qui vivent en liberté, on choisit, avec l’aide des tribunaux et de l’administration, ceux qui sont les plus vifs, les plus ardents, les plus impressionnables, les mieux doués, les plus forts, les moins rusés et les moins prudents, et ces hommes, nullement plus coupables et plus dangereux pour la société que ceux qu’on laisse en liberté, premièrement, on les arrête, on les enferme dans les prisons, dans les étapes, les bagnes, où on les maintient des mois, des années, dans une oisiveté complète, dans l’insouciance de la vie matérielle, loin de la nature, de la famille, du travail, c’est-à-dire en dehors de toutes les conditions naturelles et morales de la vie. Deuxièmement, dans ces divers établissements, ces hommes sont soumis à toutes sortes d’humiliations inutiles : chaînes, têtes rasées, vêtements dégradants ; c’est-à-dire qu’on leur enlève le principal moteur de la vie morale des faibles : le souci de l’opinion publique, la honte, le sentiment de la dignité humaine.