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motifs du suicide de Neverov. Kriltsov l’air recueilli se taisait et regardait fixement devant lui, de ses yeux brillants.

— Mon mari m’a dit que Neverov avait déjà des hallucinations à Petropavlovskaia, dit Rantzeva.

— Oui, un poète, un rêveur ! Ces hommes-là ne peuvent supporter l’isolement, remarqua Novodvorov. Moi, quand on me mettait au secret, je ne permettais pas à mon imagination de travailler, et je me faisais un emploi du temps des plus systématiques. Aussi ai-je très bien supporté tout.

— Eh ! que ne supporte-t-on pas ? Moi, souvent, j’ai même été heureux d’être en prison ! s’écria Nabatov de sa voix énergique, s’efforçant évidemment de dissiper les sombres pensées de ses compagnons. Autrement, on craint toujours quelque chose, ou d’être pris soi-même, ou d’entraîner les autres et de compromettre la cause. Une fois enfermé, on n’est plus responsable de rien ! On peut se reposer. Il n’y a plus qu’à rester tranquille et fumer.

— Tu l’as connu intimement ? demanda Marie Pavlovna à Kriltsov, en remarquant avec inquiétude son visage bouleversé.

— Neverov, un rêveur ! fit Kriltsov, suffocant tout à coup, comme après avoir longtemps crié ou chanté. Neverov était un homme, selon l’expression de notre portier, comme la terre en produit peu. Oui… c’était un homme transparent comme le