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vorov qui avait écouté la conversation. Toujours les masses ne respectent que le pouvoir, poursuivit-il de sa voix sonore. C’est le gouvernement qui a le pouvoir, elles l’adorent et nous haïssent ; demain, si nous sommes au pouvoir, c’est nous qu’elles adoreront…

Au même instant on entendit derrière le mur, des jurons, une bousculade de gens qui se heurtaient contre le mur, des bruits de chaînes, des cris aigus. On battait quelqu’un ; on appelait au secours.

— Les voilà bien, les brutes ! Quelle communion pourrait-il exister entre elles et nous ? dit tranquillement Novodvorov.

— Des brutes dis-tu ? Voici justement ce que Nekhludov vient de me raconter, dit Kriltsov d’un ton irrité, en répétant comment Makar avait risqué sa vie pour sauver un de ses compagnons. Ceci n’est pas de la bestialité, mais un acte héroïque !

— Sentimentalité ! fit ironiquement Novodvorov. Il nous est difficile de comprendre les pensées de ces gens-là et les motifs de leurs actes. Tu vois de l’héroïsme où il n’y a peut-être que de la haine pour un autre forçat.

— Comment ne veux-tu voir chez les autres rien de bon ? s’écria tout à coup, avec ardeur, Marie Pavlovna. (Elle tutoyait tout le monde.)

— On ne peut voir ce qui n’existe pas.

— Comment cela n’existe pas, quand l’homme s’expose à une mort affreuse ?