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timbre de sa voix, son regard, exprimait la vigueur et la gaieté. L’autre, également de petite taille, osseux, les pommettes saillantes, les joues bouffies, le visage terne, de beaux yeux verts écartés du nez, les lèvres minces, avait au contraire un aspect taciturne et triste. Il portait un vieux pardessus ouaté et des galoches par-dessus ses bottes. Il apportait deux pots et deux barils.

Quand il eut déposé sa charge devant Rantzeva, il salua de la tête Nekhludov, sans le quitter des yeux ; puis, lui ayant tendu à contre-cœur sa main en sueur, il se mit à retirer lentement les provisions du panier.

Ces deux condamnés politiques étaient des hommes du peuple : le premier, un paysan, Nabatov ; le second, un ouvrier de fabrique, Markel Kondratiev. Markel avait trente-cinq ans quand il avait été entraîné dans le mouvement révolutionnaire ; Nabatov l’avait été à dix-huit ans. Grâce à ses capacités extraordinaires, Nabatov avait pu passer de l’école communale au lycée et donner des leçons pour subvenir à ses besoins ; il avait terminé ses études avec une médaille d’or, mais n’était pas entré à l’Université, car, dès la septième année du lycée, il avait décidé de revenir dans le peuple, d’où il était sorti, pour instruire ses malheureux frères. Il avait fait ce qu’il avait résolu : d’abord greffier dans la chancellerie d’un grand village, on l’avait bientôt arrêté pour avoir