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était plus remplie encore ; la foule bruyante débordait jusque dans le corridor, et les prisonniers, dans leurs vêtements mouillés, se partageaient quelque chose. Le gardien expliqua à Nekhludov que l’élu du convoi remettait aux cantiniers, en échange de jetons, l’argent des provisions prématurément perdu par les joueurs. À la vue du sous-officier et du monsieur, les plus rapprochés se turent et considérèrent les intrus d’un regard malveillant. Parmi les cantiniers, Nekhludov aperçut Fédorov, le forçat qu’il connaissait, et qui avait toujours auprès de lui un jeune prisonnier pitoyable, pâle et bouffi, aux sourcils soulevés ; il vit aussi un hideux vagabond au visage marqué de la petite vérole, sans nez, qui, au su de tous, lors d’une évasion dans les marécages, avait tué un camarade et mangé sa chair. Il se tenait dans le corridor, sa capote mouillée jetée sur une épaule, et d’un air hardi et moqueur, il regardait Nekhludov sans s’écarter devant lui. Nekhludov le contourna.

Si familier que fût pour Nekhludov ce spectacle depuis trois mois qu’il voyait ces quatre cents condamnés en différentes circonstances : par la chaleur, dans le nuage de poussière soulevé par leurs chaînes, pendant les arrêts le long du chemin, pendant les haltes, dans la cour où se passaient librement et ouvertement d’épouvantables scènes de débauche, chaque fois qu’il se trouvait