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s’ouvrit, cette rumeur grandit encore et se transforma en un bruit tumultueux de voix qui s’apostrophaient, s’injuriaient et riaient. À ce bruit se mêlaient les sons variables et changeants des chaînes ; et une lourde puanteur se dégageait de là.

Ces deux sensations : le bruit des voix mêlé au son des chaînes, et cette horrible puanteur se confondaient toujours pour Nekhludov en une seule et même impression pénible, une sorte d’écœurement moral qui allait jusqu’à la nausée physique. Et ces deux sensations se confondaient et se renforçaient l’une l’autre.

Dans le vestibule où était placé un cuveau puant, appelé en Sibérie paracha, la première chose que vit Nekhludov ce fut une femme assise au bord du cuveau. En face d’elle, un homme en béret plat comme une crêpe, posé de côté sur sa tête rasée, causait avec elle. En apercevant Nekhludov, le prisonnier cligna de l’œil et dit :

— Le tsar lui-même ne peut retenir l’eau !

Et la femme rabattit les pans de sa capote et baissa les yeux.

Du vestibule partait un corridor sur lequel donnaient les portes des salles. La première était celle des familles, puis venait une grande salle pour les célibataires, et au bout du corridor deux petites salles pour les condamnés politiques. Le bâtiment de cette étape, construit pour loger cent cinquante personnes, en contenait quatre cent