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Le gradé était moins sévère que le factionnaire, mais il était, en revanche, extrêmement curieux. Il tenait à savoir pourquoi Nekhludov voulait voir l’officier, et qui il était, car il flairait évidemment la proie et ne voulait pas la manquer. Nekhludov lui dit qu’il s’agissait d’une affaire personnelle, et qu’il le récompenserait s’il voulait bien transmettre son mot. Le gradé prit le billet et s’éloigna, après un hochement de tête approbateur. Quelques instants après, la porte grinça de nouveau et livra passage à des femmes chargées de paniers, de pots à lait et de sacs. Tout en franchissant le seuil, elles babillaient bruyamment dans leur idiome sibérien ; toutes étaient vêtues, non en paysannes mais avec des pelisses courtes, les jupes haut retroussées et la tête couverte d’un fichu. À la lumière de la lanterne elles regardaient curieusement Nekhludov et son guide. L’une d’elles, visiblement heureuse de retrouver là le garçon aux larges épaules, lui lança aussitôt, en sibérien, un amical juron.

— Eh ! démon ! que fais-tu là ? lui demanda-t-elle ?

— Je conduis un étranger. Et toi, qu’es-tu venue apporter ?

— Du laitage, on me l’avait commandé pour ce matin.

— Et on ne t’a pas gardée à coucher ? demanda le garçon.