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de force lui passer la tête dans le nœud coulant. Oui… ce gardien était un peu bébête : « On m’avait dit, monsieur, que c’était effrayant à voir. Eh bien, non ! Ça ne vous fait pas grand’chose ! Une fois pendus, ils ne firent que comme ça avec les épaules ! » et il imita le soubresaut des épaules. « Puis le bourreau tira pour que le nœud, pour ainsi dire, étranglât mieux. Et c’est tout ! ils n’ont plus fait un mouvement. Ça ne vous fait pas grand’chose ».

Ayant ainsi répété les paroles du gardien, Kryltsov voulut sourire, mais au lieu de sourire il éclata en sanglots.

Longtemps il demeura silencieux, haletant et refoulant les sanglots qui lui serraient la gorge.

— C’est depuis lors que je suis devenu révolutionnaire. Oui… dit-il après s’être calmé ; et il acheva brièvement son histoire.

Sorti de prison, il s’était affilié au parti des libérateurs du peuple, puis il était devenu chef du groupe de désorganisation, dont le but était de terroriser le gouvernement afin qu’il abandonnât le pouvoir et fit appel au peuple. À cet effet, il se rendait soit à Pétersbourg, soit à l’étranger, soit à Kiev, soit à Odessa, et partout obtenait des résultats. Un homme, en qui il avait mis sa confiance, le trahit. On l’arrêta, le jugea ; maintenu deux ans en prison et condamné à mort, sa peine fut commuée en celle des travaux forcés à perpétuité.