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ministre, il les faisait déporter au bout du monde, les gardait au secret, les envoyait aux travaux forcés, à la mort, à moins qu’il ne les libérât, sur la prière de quelque dame.

On agissait envers eux comme à la guerre, et naturellement, ils luttaient avec les mêmes moyens qu’on employait à leur égard. De même que dans l’opinion publique les militaires sont entourés d’une atmosphère qui non seulement cache la criminalité de leurs actes, mais encore les glorifie, de même il existe, pour les criminels politiques, l’atmosphère d’opinion de leur groupe qui les accompagne toujours, et grâce à laquelle les actes de cruauté qu’ils commettent au risque de leur liberté, de leur vie, au mépris de tout ce qui est cher à l’homme, leur semblent non pas mauvais, mais héroïques.

C’était là pour Nekhludov l’explication de ce fait surprenant : les hommes les plus doux, incapables même de voir souffrir n’importe quels êtres vivants, se préparaient tranquillement au meurtre et considéraient dans presque tous les cas l’assassinat comme légitime et juste, soit comme arme de défense, soit comme moyen d’atteindre au but suprême et général. Quant à la haute opinion qu’ils avaient, de leur œuvre et d’eux-mêmes, elle découlait naturellement de l’importance que leur attribuait le gouvernement et de la cruauté des châtiments qui les menaçaient. Ils avaient besoin