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Il raconta à Nekhludov tout ce qu’il faisait : ses travaux dans les tourbières d’où il revenait avec ses compagnons, après deux mois et demi de travail. Chacun d’eux rapportait dix roubles, car une partie de leur gain leur avait été avancée. Pour leur travail ils devaient être dans l’eau jusqu’aux genoux, et cela de l’aube à la nuit, avec un repos de deux heures, au repas de midi.

— Pour ceux qui n’ont pas l’habitude, c’est dur de s’y faire, mais une fois habitué, ça peut marcher, disait-il. Si encore la nourriture était bonne ! Dans les premiers temps la nourriture était très mauvaise. Mais les ouvriers ont fini par se gendarmer, et la nourriture est devenue meilleure, et le travail a été plus facile.

Il raconta encore qu’il travaillait ainsi, à la journée, depuis vingt-huit ans et que toujours il avait donné l’argent qu’il gagnait : d’abord à son père, puis à son frère aîné. Maintenant il le donnait à un neveu qui dirigeait leur maison, et ne réservait pour lui, sur les cinquante ou soixante roubles qu’il gagnait par an, que deux ou trois roubles pour son tabac et ses allumettes.

Et puis, il arrive de pécher ; quand il reste quelque monnaie, on boit parfois un petit verre d’eau-de-vie, ajouta-t-il avec un sourire timide.

Il raconta aussi que les femmes des ouvriers s’occupent à leur place des travaux des champs ; que cette fois, avant de les congédier, le patron