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la cocarde et les deux dames, considérant sans doute leur présence comme un affront personnel, s’opposèrent énergiquement à ce qu’ils restassent dans le wagon et les chassèrent. Aussitôt les ouvriers, ils étaient une vingtaine : des vieillards, des très jeunes gens, aux visages fatigués, basanés, desséchés, en heurtant leurs sacs contre les bancs, les parois, les portes, se dirigèrent vers le wagon suivant, comme si, se sentant pris en faute, ils étaient prêts à aller ainsi jusqu’au bout du monde et à s’asseoir où on le leur ordonnerait, fût-ce même sur des clous.

— Où allez-vous, diables ! Placez-vous ici ! leur cria un autre conducteur, s’avançant à leur rencontre.

Voilà encore des nouvelles ! dit en français la jeune dame, convaincue que ce français élégant lui vaudrait l’attention de Nekhludov. La dame aux bracelets, elle, se bornait à respirer un flacon de sels, à froncer les sourcils et à faire des remarques sur l’ennui de voyager avec des moujiks puants.

Avec le soulagement et la joie d’hommes qui viennent d’échapper à un grand danger, les ouvriers s’étaient arrêtés et commençaient à se caser, descendant d’un mouvement d’épaule leurs sacs pesants qu’ils rangeaient sous les banquettes. Le jardinier qui s’était assis en face de Tarass pour causer avec lui, avait regagné sa place, de