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continua le vieux, en montrant deux femmes qui, les manches de leurs chemises relevées, leurs jupes retroussées jusqu’au-dessus des genoux, laissant voir leurs mollets tout tachés de purin, se tenaient debout, la fourche à la main, sur ce qui restait du tas de fumier. — Je dois trouver chaque mois six pouds de blé ; et où les prendre ?

— N’as-tu donc pas assez de blé à toi ?

— À moi ! fit le vieux avec un sourire méprisant. Moi j’ai de la terre pour trois âmes ; à Noël, toute la provision est déjà épuisée.

— Mais alors comment faites-vous ?

— On s’arrange ; voilà, j’ai un fils en service ; puis nous prenons de l’avance chez Votre Seigneurie. Mais nous avons déjà tout pris avant le carême, et les impôts ne sont pas encore payés.

— Et combien d’impôts ?

— Rien que pour notre foyer, dix-sept roubles par terme. Ah, mon Dieu ! une vie à ne savoir comment s’en tirer.

— Pourrais-je entrer dans votre izba ? demanda Neklhudov en s’avançant dans la cour et marchant vers la couche de fumier, de couleur jaune safran, à l’odeur violente, que la fourche n’avait pas remuée.

— Pourquoi pas ? entre, dit le vieillard, et déplaçant rapidement ses pieds nus, entre les doigts desquels jaillissait le purin, il devança Nekhludov et lui ouvrit la porte de l’izba.