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tellement travailleuse que j’étais obligé de la retenir. Nous rentrons à la maison, les doigts engourdis, les épaules courbaturées, il faudrait se reposer, mais avant la soupe, la voilà qui court à la grange, faire des liens pour le lendemain. Quel changement !

— Et pour toi, est-elle devenue douce ? demanda le jardinier.

— Ne m’en parle pas ! Elle s’est tellement attachée à moi… comme une seule âme. Je n’ai qu’à penser et elle comprend. Ma mère, qui n’est pourtant pas commode, dit aussi : « On nous a changé notre Fédosia. C’est une autre femme ! » Un jour, comme nous allions tous deux chercher des gerbes, je lui demande : « Dis-moi, Fédosia, comment une pareille idée a-t-elle pu te venir ? » « Eh bien, voilà, me dit-elle ; je ne voulais pas vivre avec toi. Je me disais : plutôt mourir. » « Et à présent ? » dis-je. — « À présent, tu es dans mon cœur ! ». Tarass s’arrêta en un sourire joyeux et hocha la tête.

— Mais voilà qu’un jour, reprit-il, en revenant des champs, je conduisais un chariot de chanvre pour le rouir, j’arrive à la maison… Et que vois-je ? Une convocation ! C’était pour le jugement. Et nous avions tout à fait oublié pour quoi la juger.

— C’est pour sûr le malin, opina le jardinier. Est-ce que l’homme peut songer de lui-même à perdre une âme ? C’est comme chez nous, il y